TOUR DU MONDE DE L’HABITAT VU PAR LA SOCIÉTÉ CIVILE

Financiarisation du logement

Dernière mise à jour le 12 septembre 2019

Définition

Manuel Aalbers (Université Catholique de Leuven en Belgique), propose une définition économique du phénomène : la financiarisation peut être caractérisée comme le passage du capital du circuit primaire, secondaire ou tertiaire vers circuit quaternaire du capital (= celui de la finance).  (in Financialization of Home and the Mortgage Market Crisis – 2008). Il s’agit alors d’une forme d’accumulation de capital par dépossession pour David Harvey, géographe britannique.

Dans la publication de European Coalition Action, toujours de Manuel Aalbers, une autre définition – en termes de rapports de forces – est proposée, inspirée par Epstein (2005) : la financiarisation est la domination croissante des acteurs financiers, des marchés, des pratiques, des modes d’évaluations et de récits, à différentes échelles, et qui entraîne une transformation structurelle des économies, des entreprises (y compris les institutions financières), des Etats et des ménages. (in Financiarisation du logement : tendances, acteurs et processus – 2018)

Pourquoi et comment ?

Le logement est un aspect central de la financiarisation. La financiarisation des marchés hypothécaires exige que non seulement les logements, mais aussi les propriétaires soient considérés comme financièrement exploitables. Etant donné que les marchés hypothécaires sont à la fois des marchés de consommation locale et des marchés d’investissements mondiaux, la dynamique de la financiarisation et de la mondialisation relie directement les (petits) propriétaires aux investisseurs mondiaux, ce qui explique la crise des supprimes de 2008.

Le volet juridique explicatif

Le mécanisme de financiarisation du logement repose sur une réalité : celle de la propriété individuelle. Il faut dès lors se rappeler qu’en droit, la propriété se divise en 3 droits réels :

  1. L’USUS qui donne droit à utiliser un bien
  2. Le FRUCTUS qui permet de recueillir le fruit (l’usufruit) d’un bien
  3. L’ABUSUS qui permet de disposer totalement d’un bien. On peut donc le transformer – le céder – le détruire

On le voit, l’abusus est la pleine propriété permettant au propriétaire d’agir totalement à sa guise avec son logement. C’est pourquoi la notion de propriété renvoie aussi à des rapports de forces qui s’établissent entre acteurs. « La propriété est une relation symbolique entre deux entité humaines (collectives ou individuelles). Cette relation exprime un rapport de pouvoir entre ces deux entités, la première légitimant l’accès de la seconde à une « délégation de pouvoir », elle-même symbolisée par un objet-médian (qui peut être absolument n’importe quoi, minéral, végétal, animal, humain, abstrait) » (Histoire de la propriété individuelle par homo-rationalis.com)

Ceci a pour corollaire que le propriétaire peut décider de faire entrer son logement dans une forme de spéculation immobilière ou de spéculation foncière. La fédération des Notaires de Belgique propose la définition suivante pour la spéculation immobilière : « On parle de spéculation lorsque les bénéfices réalisés sont considérés comme issus d’une gestion « à risques », sans qu’il s’agisse d’une activité professionnelle. Différents critères sont pris en considération par l’administration pour prouver qu’il y a eu spéculation ». Même si la spéculation est une conséquence de la financiarisation, il ne faut pas confondre les deux phénomènes.

C’est la raison pour laquelle de nombreux mouvements sociaux militent pour la reconnaissance d’une fonction sociale de la propriété. L’idée est ici que l’usage d’un logement, d’une propriété devrait primer sur le droit d’abusus. La financiarisation du logement se développe grâce à l’absence des cadre juridiques adéquats (local – national – international) (voire de règlementations favorisant) qui devraient protéger le droit aux logements.

Le volet économique explicatif

Un rapide historique permet de comprendre les antécédents du phénomène. (inspiré de Manuel Aalbers).

Dans les années 1920 aux USA, les banques commerciales peuvent entrer sur le marché de l’immobilier … ce qui n’est pas sans lien avec le fameux crash de 1929. Dès lors, les Etats Unis vont mettre en place le marché hypothécaire dans un version « moderne », avec des lignes directrices normalisées : prêts hypothécaires de long terme – construction de logements subventionnés – réglementation de la construction – Etat facilite l’accès au crédit et empêche la saisie des maisons.

Durant la seconde moitié du XXe siècle, les taux d’intérêt baissent, ce qui facilite l’accès à l’emprunt hypothécaire pour les bas revenus. On assiste à une croissance forte de l’accès à la propriété. Le taux d’endettement des ménages est en forte augmentation. C’est même une volonté affichée de la Banque Mondiale à la fin du siècle, en incitant les pays à « offrir » aux citoyens l’accès à la propriété.

A la fin du XXe siècle (années 1990), la croissance de l’économie réelle globale stagne. C’est la raison pour laquelle la finance (en tant qu’accroissement du capital monétaire) est utilisé pour relancer l’économie mondiale. Dès lors, le secteur financier passe du rôle de catalyseur de croissance économique à celui d’une industrie à part entière (Engelen 2003). C’est ainsi que naît le circuit économique « quaternaire ». Ceci se traduit par un marché hypothécaire qui continue à exister sur le marché primaire, mais se développe également sur le marché secondaire. Le marché primaire du crédit hypothécaire est celui qui se développe au niveau généralement national, sur des biens immobiliers réels, avec des prêteurs et des emprunteurs. La nouveau, le marché immobilier « secondaire » se réalise au niveau mondial. Ce qui s’échange, ce ne sont plus des biens réels (logements), mais des titres de propriété. Ces titres représentent une petite partie du bien réel. Ainsi, une personne va détenir un certains nombre de titres, sans même imaginer que dernière ces titres se trouvent des logements occupés par des habitants. C’est ce que l’on appelle la titrisation du logement, une des formes les plus subtiles de la financiarisation du logement.

En 2008, la mondialisation de l’échange de ces titres, avec des politiques qui ne cadrent plus rien au niveau de cet échange de capital va donner lieu à la crise des subprimes. Une autre forme de financiarisation se fait jour : les Fonds Vautour. Lorsque certains de ces titres sont adossées à des créances douteuses (les emprunteurs n’ayant pas vraiment les moyens de rembourser), certains acteurs les rachètent à bas prix (les Fonds Vautour). L’Etat américain a fortement contribué à cette dérégulation internationale, d’où sa responsabilité dans cette crise. Un des pays qui illustrent bien ce phénomène de financiarisation est l’Espagne. Un exemple typique d’accumulation du capital par dépossession (David Harvey).

Quels résultats ?

  • Primo, la crise est imputée à l’endettement public, ce qui permet aux politiques néolibérales de réduire fortement les dépenses des Etats. Or, comme on l’a vu, il s’agit bien d’une dette privée qui a mené à la crise. Lire les publication du CADTM sur le sujet. Dès lors, de nouvelles règles (appelées macro-prudentielles sont mises en place). Elles régulent les emprunts hypothécaires beaucoup accessibles aux revenus les plus faibles.
  • Secundo, la financiarisation du logement est analysée selon toutes ses facettes, ce qui permet de relier entre eux des phénomènes qui ne semblent pas se connecter a priori : les expulsions – la gentrification – le logement vacant – accaparement de terres – UBER – RBNB – … (cfr publication 2018 de European Coalition Action : la financiarisation du logement, tendances, acteurs et processus, publié par la Fondation Rosa Luxembourg).
  • Tertio, pour contrer ces phénomènes et permettre aux gens de garder leurs logements sans tomber dans l’endettement, des modèles d’habitat reviennent sur le devant de la scène et sont promus par certains mouvements sociaux : les coopératives, les community land trust, les habitats collaboratifs, les habitats légers (yourte, cabane, tiny house) … bref ce que l’on nomme aussi la production sociale de l’habitat.

Voir également : Spéculation immobilièreSpéculation foncièreGentrificationRésiduationExpulsion (Déguerpissement) – Accaparement de terresTouristification.